Salaires et jdr II, le retour: Backstab 2000 vs. Di6dent 2012
Suite à mon précédent article sur les salaires et le jdr et m’a déclaration d’amour à Di6dent, Michaël Croitoriu m’a rappelé que Backstab avait aussi fait un dossier sur le sujet à l’époque. Occupé à m’expatrier j’avais raté ça, mais grâce à la collec’ de ma chère et tendre j’ai pu comparer les deux dossiers, qui ont environ 12 ans d’écart. Globalement, les deux enquêtes sont bien faites, assez complètes et permettent de mesurer le décalage entre la perception de l’argent chez les rôlistes et les vrais chiffres du jdr. Chaque article a ses points forts, celui de Di6dent est son approche historique, regardant l’évolution du prix par page et tenant compte de l’inflation. J’ai donc utilisé la même approche pour continuer mes toujours subjectifs et pifométriques calculs de salaires.
Histoire d’A
En 2000, Backstab annonçait des tarifs de pigistes dans l’édition de jdr à 300 FF les 10 000 signes, soit 45.73 €. C’est presque exactement le chiffre que j’avais donné dans mon article précédent pour le tarif d’une maison d’édition sérieuse vers l’an 2000 (j’ai reçu du fric pour mes piges entre grosso merdo 1998 et 2006).
En 2012, Di6dent nous donne une fourchette de 30 à 50 € pour cette même pige de 10 000 signes, avec une moyenne à 40 €. Alors, petite décote ? Non, car si on prend une inflation à 22.2% depuis 2000, les 45.73 € de la maison d’édition sérieuse moyenne auraient dû devenir 56 €. Un pigiste de 2012 gagne donc bien moins que son homologue de 2000.
Du biff
Côté illustration c’est plus difficile à calculer, mais essayons. Backstab donnait le A4 noir & blanc à 500 FF, soit 76.22 € de 2000, soit 93 € de 2012. Pour une grosse illustration (couleur non précisée), Di6dent semble indiquer plutôt 70 € de moyenne, donc une décote aussi, comme ça pas de jaloux avec les pigistes.
Pour la couleur, Backstab annonçait 1000 FF (152.44 €) le A4 couleur intérieur et 3000 FF (457.32 €) la couverture, soit pour 2012, 186 € la pleine page couleur et 559 € la couverture. Di6dent annonce 100 € pour une couverture de petit format confidentiel ou un haut de fourchette pour une illustration intérieure, et 300 € pour une couverture plus pro. Encore une fois, l’illustrateur lambda de 2012 gagne moins que son confrère de 2000.
C’est la monnaie qui dirige de monde
Pour la presse, Backstab payait, pour 10 000 signes, 875 FF pour un article et 500 FF pour un scénario, soit respectivement 133.38 € et 76.22 € de l’époque. Le chiffre amalgamé de mes piges dans Backstab et Casus Belli deuxième époque était de 90 € les 10 000 signes, donc dans cet ordre de grandeur. Avec l’inflation, ça donnerait aujourd’hui 111 €. Mais qu’en est-il dans la presse rôliste d’aujourd’hui ?
Malheureusement, Di6dent n’a pas la même transparence que Backstab, donc on ne sait combien sont payés les pigistes. Avec un signage moyen annoncé à 3500 signes par pages sur 160 pages, on arrive à la jolie somme de 560 000 signes. Comme on ne sait pas trop si ces signes sont payés dans les 4.23 € de «coûts d’impression » ou les 1.45€ de bénèf du mag, et qu’on ne connaît pas les chiffres de ventes ou de tirage, la spéculation arithmétique va s’arrêter là.
L’argent pourrit les gens
Une des conclusions de l’article de Di6dent est que, malgré les perceptions des vieux cons râlistes, le prix par page est stable depuis 12 ans (voire n’a jamais été aussi bas) et les bouquins n’en sont pas plus moches pour autant. Mais comme les tirages sont plus petits, l’ «industrie» du jdr, si elle a existé en tant que niche, se rapproche surtout d’un artisanat. De plus, tirages réduits et prix du papier en hausse signifient hausse des coûts de production matérielle, donc il faut ruser.
Ma conclusion est que les artisans pigistes et illustrateurs du jdr se sont quand même pris une sévère branlée niveau revenus.
Maintenant, pour pouvoir dire que “si le jdr coûte moins cher à la page malgré la hausse des coûts matériels, c’est parce qu’on paye moins ses créateurs”, il faudrait suivre l’évolution des revenus des éditeurs, imprimeurs, distributeurs, vendeurs en boutique etc. Comme j’ai autre chose à faire, je dirais surtout que l’artisanat du jdr tourne de plus en plus avec le modèle qu’avait In Studio dans les années 2000: on ne fait pas gaffe à la quantité de signes, on accepte de se faire payer pas cher, et on bosse pour le plaisir, pour l’honneur, pour la cause vu que de toute façon on cherche/on a du boulot sérieux à côté. Donc par pitié qu’on arrête d’opposer les créateurs de jdr « indépendants » et les « éditeurs », les auteurs « amateurs» et les « professionnels ». Que ce soit de l’édition en loisir ou de l’édition artisanale, pour moi il n’y a que deux types de créateurs : ceux qui sont payés pour leurs signes et les bénévoles. Et comme même les « payés » tournent avec des clopinettes, comme on dit chez l’Oncle Sam : don’t quit your day job !
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9 Responses to Salaires et jdr II, le retour: Backstab 2000 vs. Di6dent 2012
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Mais alors totalement d’accord.
Très bon article. Cela dit, je ne dirais pas que le jeu de rôle est un artisanat. Un artisan a certes une production limitée en volume, mais il offre une sérieuse plus value en terme de matériel de production et de savoir faire et peut s’adapter au client, faire du sur-mesure. Il y a une grosse différence entre ce que peut faire un artisan ébéniste et mes bricolages du dimanche, la différence n’est de loin pas aussi claire dans le monde de la rédaction de jeu de rôle.
Merci 🙂 En toute modestie, j’estime qu’il y a une grosse plus-value entre mes scénars édités et ceux que j’ai écrit au dos d’une enveloppe qui traînait: ils sont réfléchis, lisibles voire fun à lire en tant que tels, organisables par autrui, maquettés et, illustrés. Je parle bien de l’édition de produits de jdr, pas de sa pratique en tant que jeu. Après y a tous les styles d’artisans: les apprentis, les maîtres etc. Les “vrais” pigistes de jdr peuvent faire du sur mesure, par exemple écrire des scénars sur un thème imposé pour un jeu qu’ils ne pratiquent pas forcément (vécu) etc.
Prends un rôliste moyen, colles lui une série JdRs inconnus entre les mains, et demandes lui de te dire si ça a été fait par un pro ou un bénévole…
Quand je parlais d’un artisan qui fait du sur mesure, je voulais dire pour le client final, i.e. le type qui paye et utilise le produit. Le fait qu’un pro soit capable de s’adapter aux besoins de l’édition et de travailler dans des question sub-optimales est une plus value pour l’éditeur vu que cela simplifie la logistique, par contre pour la personne qui lit le JdR, je ne suis pas convaincu que cela amène grand chose, comparé au même jeu écrit par une équipe plus réduite et plus spécialisée.
Tout à fait d’accord que “payé” ou “bénévole” ne renseigne pas beaucoup sur la qualité de l’oeuvre. Et que si par “sur mesure” tu entends “directement pour le MJ” effectivement là seuls les écrivains publics qui écriraient du jdr seraient des artisans. Je l’entendais au sens “tu as des compétences techniques que tu vas mettre au service d’une commande précise, on est venu te voir pour celles-ci mais ce n’est pas de la création freestyle comme pourrait le faire un artiste, c’est contraint et on te demande de bien rester dans les clous”. Un boulot quoi, mais pas industriel.
Excellent article M. B., je n’aurais pas fait mieux moi-même ! L’évolution du salaire moyen ne m’étonne guère, d’autant qu’on ne peut plus vraiment parler de presse “professionnelle” du jeu de rôle comme on l’entendait en 2000. Le format mook suppose une hausse importante du signage par numéro et donc, logiquement, une baisse sensible du salaire perçu par le pigiste si tant est qu’il soit payé !
[…] de se lancer dans des ouvrages dépassant le millier d’exemplaires. Et même les rémunèrent: ces activités de pigiste ont été rémunérées en francs et en euros sonnants et trébuchants, donc même si je n’ai jamais vécu de ma plume en jdr, j’ai plusieurs fois pu me payer un […]
[…] system since I know many of my flattrers, but I’m quite happy that a post I wrote about real salaries in the French tabletop rpg business was seen as worth a few euros by some random readers I don’t know. This is an example of the […]