«Don’t judge a book by its cover» disent les ricains. C’est ce que j’ai voulu faire en achetant à la fois Pour les plaisirs du roi de Philippe Hugon et Valpéri, Mémoires d’un gentilhomme de Paul de Molènes, deux histoires de roués au XVIIIe siècle. Les deux premières de couverture sont des montages plus ou moins réussis. Celle du premier roman annonce le pire: un tableau ambiance Verrou de Fragonard en fond et, au premier plan, le portrait d’un gentilhomme dont la perruque poudrée est embossée. L’embossage des titres est caractéristique des couvertures de fantasy de gare ou de romans à l’eau de rose, mais de l’embossage de perruque, c’est une première. Le bouquin est volumineux, le papier épais, et c’est écrit gros. La couverture du deuxième est un mélange de plusieurs tableaux ou gravures. Les tons sont chauds, les mélanges plutôt fins. On n’échappe pas à la paire de seins mais le graphiste a bien fait son boulot et ce sont surtout les yeux qui attirent. Plus une invitation au mystère qu’à la gaudriole donc, et ici pas d’embossage. Le papier fait plus ancien, la couverture est matte, même le toucher nous promet du subtil et du sérieux. Les différences de classe continuent dans la quatrième de couverture. Celle des Plaisirs évoque sans les nommer un mélange entre SAS et Angélique, Marquise des Anges, tandis que Valpéri lache clairement les noms de Sade et des Liaisons Dangereuses. Pour ce qui est de l’auteur, les Plaisirs sont plutôt sobres et modestes : Philippe Hugon est journaliste, passionné, c’est son premier roman. Valpéri par contre a été écrit par Paul de Molènes, un bretteur, cavalier et écrivain culte du XIXe siècle. Le name dropping ouvert avec Sade ajoute un « salué par Baudelaire» pour faire bonne mesure. Mais une fois les deux ouvrages terminés, on réalise qu’on s’est fait sombrement arnaquer, et pas par qui on croyait.

 

Les Plaisirs n’évitent pas les écueils habituels du roman historique : phrases explicatives pour profanes malgré un parti pris “à la première personne”, abondance de noms complets de personnages historiques façon notice du dictionnaire et globalement quelques maladresse d’écriture. Mais pour les passionnés de l’époque et des thèmes en particulier (mobilité sociale et géographique, prostitution, complots, Prince de Conti, Sartine etc), c’est du pain béni… Je l’ai lu rapidement et avec grand plaisir. Valpéri commençait plutôt bien, un mélange original de Bildungsroman et d’horreur gothique. L’éduction du gentilhomme se fait donc dans de noirs châteaux froids sous la pleine lune, au contact de de ténébreux étrangers maudits et de médiums plus ou moins effrayés par des relents de satanisme. Pas exactement sensible à ce genre de traitement du surnaturel, je visualisais surtout des films d’horreur « hénaurmes », entre expressionisme allemand et production de la Hammer.

 

L’arnaque réside surtout dans le fait que Valpéri n’est ni le divin marquis, ni Valmont. Oui, il est jouisseur, dominateur et aime mystifier son monde avec sa bande de Navarrois, version hédoniste des cadets de Gascogne ou d’une fraternité américaine, mais il reste un homme très bourgeois dans ses envies et tristement commun dans la brutalité de ses méthodes. Le comte du Barry des Plaisirs n’est peut-être pas l’héritier des Puissances de Ténèèèbres, mais ses magouilles pour placer sa pouliche auprès de Louis XV sont dignes des Liaisons Dangereuses. Sa séparation de l’amour et du sexe, sa philosophie matérialiste en général le rapprochent bien plus de Sade que Valpéri.

 

Au niveau de l’écriture, Hugon fait dans le simple et le lisible, mais sans jamais tomber dans le pauvre façon Dan Brown ou Bernard Weber. Paul de Molènes lui, a tout ce que je déteste du XIXe. C’est lourd, ampoulé et -peut être pour faire XVIIIe- riche en histoires à tiroirs dignes de Pierre-Jakez Elias. Le narrateur peut raconter une anecdote à X dans une lettre, elle-même envoyée à Y dans un roman adressé à Z, sans pour autant que ça ajoute grand-chose au récit. Cerise sur l’étouffe-chrétien, on nous tartine les états d’âmes du héros sur des pages entières. Et ça rejoint son aimée à bride abattue sous des cieux déchainés, et ça écrit des lettres interminables de douleur mièvre. Le fantôme de Chateaubriand rôde vraiment dans le coin, on attendait juste un petit mouchoir ensanglanté histoire de bien finir la checklist des clichés émotifs du XIXe. On l’a déjà dit : Valpéri n’est pas Valmont. Quand il tombe amoureux, c’est binaire et direct, sans la relation complexe et destructrice avec madame de Tourvel.

 

Les amoureux bavards, ça va quand c’est des potes qu’on espérait caser depuis longtemps ou quand ça donne des œuvres intenses comme Ne me quitte pas de Brel. Mais là on baigne dans la niaiserie la plus complète, digne justement de la collection Harlequin promise par l’embossage de l’autre bouquin. Valpéri ne retrouve son mordant démoniaque que grâce à une crise de jalousie d’une banalité pitoyable, j’ai donc usé du droit fameux droit du lecteur à sauter de pages. C’est triste, mais ce que j’ai préféré dans ce livre est l’ajout en annexe de critiques de l’époque, replaçant le roman dans son contexte littéraire bien mieux que n’importe quelle préface.

 

Valpéri a donc confirmé que je n’aimais pas la littérature du XIXe, même si elle touche à mon époque préférée. Le prochain roman de Philippe Hugon portera sur la révolution française, et comme c’est une autre période qui m’intéresse, je m’y plongerai avec joie.

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3 Responses to L’habit ne fait pas le roué

  1. Baptiste says:

    C’est fabuleux. Je n’ai à priori rien à faire de cette littérature et je dévore l’article.

    Pour visiter un siecle avec un de ses auteurs, j’ai adoré casanova. Notamment son évasion de prison que je conseille.

  2. Thomas B. says:

    Merci :). J’ai une intégrale d’Histoire de ma vie de Casanova, j’y picore de la doc régulièrement et effectivement sa fuite des Plombs est très cool.

  3. Laurent says:

    Bonsoir Thomas,

    j’ai jugé le livre de Philippe Hugon à sa couverture, en librairie et je ne l’ai pas acheté.
    Votre commentaire va finalement m’inciter, je pense, à en faire mon livre de printemps.
    Merci à vous !

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