J’ai toujours détesté la science-fiction à message. Vous savez, ces films ou ces romans dont le pitch tient en « science sans conscience n’est que ruine de l’âme » ou « les droits de l’Homme c’est important » voire « la guerre c’est pas bien », dont l’intrigue n’est qu’un prétexte à une bonne grosse leçon de morale et où on colle deux-trois vaisseaux spatiaux histoire de faire futuriste. Les profs de français trouvent ça super-original « mais où l’auteur est-il allé cherché tout ça ? », sont convaincus que « ça plaira aux garçons » et se croient tolérants en glissant ça entre un Balzac et un Stendhal dans le programme de Seconde. Sauf qu’en tant qu’œuvre de genre, ces trucs sont au mieux banals, au pire de vraies insultes à ce dont ces littératures « de l’imaginaire » sont capables. Un peu comme une prof de musique qui enseignerait K-maro à ses élèves histoire de pouvoir se vanter d’avoir mis du rap au programme.

Ce soir j’ai fini mon premier roman fantastique à message. Et cerise sur la gâteau, le message était une véritable ode au point de Godwin en 149 pages. J’avais entendu parler du pitch par Mauvais genres, il y a quelques temps : dans des banlieues parisiennes, des musulmans et juifs s’affrontent en invoquant respectivement un djinn et un golem. Certes, le sujet était un peu casse-gueule, mais grand fan d’urban fantasy j’espérais du Neil Gaiman ou du China Miéville à la française. Au pire, je m’attendais à un roman un peu ado à la Charles de Lint avec un peu plus de tatanne. Ne l’ayant pas trouvé dans les rayons de la géniale librairie Scylla, j’en ai parlé à son non-moins génial tenancier qui, après une grimace et une petite mise en garde, m’a laissé un post-it avec le nom de l’auteur : Maud Tabachnik.

Tous ne sont pas des monstres fleure avant tout l’anticipation, voire l’uchronie: des intégristes musulmans déclenchent des soulèvements de plus en plus violents dans les banlieues françaises pour finalement établir un blocus autour de toutes les grandes villes. Encore une fois, l’accroche est très casse-gueule, mais traité avec talent et subtilité il y aurait eu moyen de s’en sortir. Au lieu de ça, on a droit à un bon gros « alors voilà, les islamistes c’est tout pareil que les nazis, mais cette fois-ci les juifs ne vont pas se laisser faire, et ils vont sortir l’artillerie lourde ». La dite artillerie est occulte puisqu’il s’agit d’un golem ou plutôt du Golem, récupéré suite à un passage par Prague de Nathan, le héros qui va sauver le monde. Le point Godwin est donc atteint dès le début, et malheureusement pour la subtilité on repassera. La banlieue est uniquement décrite par des clichés, c’est à se demander si Maud Tabachnik n’est pas le nom de plume de Nadine Morano. On en vient à chercher le logo TF1 sur la couverture, se dire que Jean-Pierre Pernaut a du servir de documentaliste et que Claude Géant aurait pu écrire la préface. Les méchant islamistes sont tellement Méchants qu’ils ont même des têtes de méchants avec des joues creuses et roulent des yeux : j’en suis venu à regretter le sens de la nuance et le jeu tout en finesse des acteurs de Rani.

Pour éviter l’accusation d’islamophobie, Tous ne sont pas des monstres semble signifier « y en a des bien » et il y a donc des Auvergnats -pardon, des musulmans modérés, qui n’apprécient pas la nouvelle dictature mise en place. Sauf qu’ils sont mous. Qu’ils ont peur. Tout comme le gouvernement qui n’est qu’une bande de Munichois qui ne veut rien qu’à négocier avec les émeutiers au lieu de leur péter la gueule. Et au moment où les CRS se mettent enfin à réagir, les musulmans sortent leur arme magique à eux : un djinn qui les met en déroute. Et comme ça ne suffisait pas, des puissances étrangères qu’on ne nommera pas (en clair le complot islamo-pétrolier international) menacent de lâcher une bombe nucléaire sur la France, renvoyant la police à faire du gardiennage d’immeuble et forçant le gouvernement à autoriser la polygamie. C’est là que le maladroit et l’hénaurme rejoignent le franchement nauséabond. Je sais pas pour vous mais moi, cette descente en flamme d’un gouvernement démocratiquement élu qui est jugé « trop mou », d’un ennemi de l’intérieur au faciès terrifiant et aux vêtements étranges, aidé par des puissances cosmopolites pleines de thunes, mettant en danger les vraies valeurs d’un pays, qui ne sera sauvé que par un homme providentiel qui fait appel au surnaturel, aux légendes et destin mystique de son peuple, ça ne vous rappelle pas quelque chose ? Eh ouais, Maud Tabachnik a réussi à s’autogodwiniser et faire passer un message tristement brun alors qu’elle avait sans doute la louable intention de lutter contre une nouvelle forme de dictature.

 

Et le fantastique dans tout ça ? Après un tel coup de massue, difficile de se concentrer sur le reste. Comme dans tout bon roman de genre « à message », c’est du travail d’amateur : le duel entre le djinn et le golem est bâclé, tous les éléments urbains sont sous exploités, effleurés, expédiés. Paris pourrait être Limoges que ça ne changerait rien, et on a droit à du fantastique-McDo-pour-les-nuls, sans saveur et qui ne tient pas au corps. Parce qu’il faut bien trouver des aspects positifs, j’ai plutôt apprécié les nombreuses séquences oniriques et l’ensemble se lit très vite. Mais que ce soit en matière de message politique ou en matière de genre, les vieux fans des Grosses têtes diront que l’auteur s’est prise les pieds dans le tapis de prière, et les jeunes résumeront ça en un mot : FAIL.

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2 Responses to Tous ne sont pas des monstres

  1. Alias says:

    Ça donne envie.

    De lire autre chose.

  2. Grégory H. says:

    Ouais. Comme dans tous les genres, il y a du bon et du moins bon dans la Fantasy. D’où l’importance de bien se tenir au courant des nouveautés.

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