Steve Jobs, Philip K. Dick et Bernard Tapie sont dans un bateau
Cleer de L.L. Kloetzer m’a touché.
Pour faire court, ça parle de deux employés de CLEER, une multinationale qui vend un peu de tout mais toujours de très bons et très beaux produits, tout en ayant une éthique formidable, qui pense au bien être du monde et de ses employés. Et qui aime bien le blanc et la lumière. Nos deux héros bossent à la Cohésion Interne, un subtil mélange d’inquisition et d’experts en image de marque.
Cleer, c’est de la littérature qu’on peut faire lire à sa maman qui aime les beaux romans. Déjà l’objet est classe, mais c’est surtout très bien écrit sans être alambiqué. Il y a des héros attachants, un début, des milieux, une fin, des thèmes d’actualité, pas d’extra-terrestres en soucoupe ni de dragons. Le découpage en missions se prête bien à une série télé… ou à une campagne de jdr (oui, les auteurs sont biclassés rôlistes-GNistes) où le Départment d’Etat de Mission Impossible a été remplacé par le Board de la Boîte.
Mais c’est aussi un truc qu’on peut offrir à son tonton manager qui ne lit que des rapports d’analystes financiers. Du jargon débile aux luttes de pouvoir, la description du monde de l’entreprise sent le vécu. Toute personne ayant bossé dans une multinationale se reconnaitra (elle ou ses collègues), que ce soit dans le rôle de Charlotte pour le côté “RH empathique qui subit l’impact du boulot sur sa vie privée” que dans celui de Vinh “je suis un winner yuppie des 80s prêt à tout et de toute façon c’est quoi une vie privée?”. Lire Cleer tous les matins en allant bosser, c’est parfois se demander si le bouquin n’est pas en fait le compte-rendu romancé de la journée précédente… ou de celle qui nous attend. Pourquoi Bernard Tapie en plus de Steve Jobs? Comme je travaille en anglais et pas en français, voir tout ce vocabulaire corporate dans la langue de Molière, voir la Défense au lieu de Manhattan m’évoque quand même pas mal les grandes heures d’Ambition présenté par Bernard Tapie. Je n’ai jamais bossé dans le privé en France, donc ce genre de thème et de langue reste associé à une époque qui fleure bon le Paul-Loup Sulitzer. Et en plein retour des leggings, des marinières et des vestes à épaulettes-manches retroussées, Kloetzer a un vrai sens du zeitgeist.
Il y aussi de la geekitude, parfois bien visible (un des héros est quand même un bel asiatique qui fait du kung-fu et est ridiculement balèze en hacking), parfois plus private joke (les joueurs de Paranoïa apprécieront l’utilisation du terme de Clarificateur, la Cohésion Interne pour la Sécurité Interne…). Les différentes missions des héros font très “scénario INS/MV” de part leur diversité et leur capacité à mélanger terroir et science-fiction. Le côté anticipation, le jeu sur la réalité et les hallucinations ravira les fans de Philip K. Dick. Donc ne vous laissez pas effrayer par les deux paragraphes précédents: si vous êtes mon ami sur fessebouc il y a de grandes chances que vous kiffiez ça autant que votre dernière soirée pizza-bière devant un excellent nanar.
Mais le grand talent des Kloetzer est de lier ces trucs apparemment disparates. Un exemple typique: suite aux magouilles du héros pour réussir sa mission (littérature), l’emploi du temps d’un gros ponte de la boîte -reproduit tel quel au cours du chapitre— n’arrête pas d’être chamboulé en quelques heures (vécu d’entreprise), une des constantes restant un rendez-vous avec un certain A.P. Reverte, ministre de la communication espagnol (référence geek).
C’est ce mélange qui me botte énormément, et que j’avais tenté dans mes rares textes de fiction: un truc lisible par n’importe qui, basé sur du vécu mais avec quelques références pour un public averti. Ca me touche, je me retrouve dedans, tant comme lecteur conquis que comme auteur embryonnaire.
Donc merci, bravo, et encore!
[Note: repost d’un article publié sur fessebouc le 14 février 2011. A ce jour, Cleer reste ma claque littéraire de 2011]
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